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Littoral convoité et menacé

 

Brigitte BERLAND

 

Le littoral, lieu de rencontre entre la terre et la mer est caractérisé par une très grande variété de formes et de paysages qui ont été modelés tout au long des millénaires de l’histoire géologique par les effets combinés de conditions climatiques jamais stables (alternant chaud et gel, sécheresse et pluie) et du travail d’érosion effectué par les fleuves et glaciers. Cependant l’Europe, par suite de sa longue histoire d’occupation humaine, ne renferme plus d’écosystèmes vierges, inaltérés par les activités de l’homme. Depuis des millénaires, nature et sociétés humaines se sont mutuellement influencées.

L’homme a commencé à avoir un impact sur la nature dès l’instant où il est passé d’une économie de chasse, de pêche, de cueillette, à une économie marchande et agricole. Toutefois les zones humides du littoral, marais, lagunes, plaines deltaïques, de par leur richesse floristique et faunistique, se sont prêtées et se prêtent encore à ce genre d’économie de prélèvement. Les conditions naturelles en général rudes (inondations, insalubrité, paludisme) ont retardé pendant longtemps la colonisation de ces zones, abandonnées généralement aux parias, aux marginaux et à quelques pêcheurs et éleveurs. C’est à partir du Moyen Age que pour maîtriser les eaux de surface, qu’elles soient marines ou fluviales, des aménagements ont été entrepris afin de développer différentes activités (salicoles, agricoles, conchylicoles, notamment). Rappelons que c’est à la fin du XIIIe siècle que l’agriculture médiévale culmine pour régresser rapidement les siècles suivants. Dès cette époque, il n’y a pratiquement plus de milieux « naturels ». Au fil des siècles, ces zones naturellement humides se sont transformées sous la main de l’homme en un territoire artificialisé dont les particularités écologiques sont désormais liées à la gestion de ces eaux de surface. Ce qui fait dire au sociologue B. Picon (1988),  que  si l’on considère généralement que c’est la société qui transforme ou détruit la nature, on peut également observer, dans bien des cas que la société peut aussi produire de la nature.  Tel est le cas de la Camargue, espace entièrement artificialisé, que le grand public considère comme un « espace naturel protégé ».

Les zones d’estuaires, autres zones humides du littoral, sont également marquées par l’empreinte de l’homme. Zones de rencontre de l’eau douce et de l’eau salée, pièges à sédiments, bordés de marais, abris de nombreux oiseaux migrateurs, les estuaires sont des lieux de passage obligé pour de nombreuses espèces de poissons (saumon, anguille, mulet, alose) et leurs vasières sont autant de zones de reproduction des poissons plats. Ces zones sont depuis des siècles, partout dans le monde, des zones privilégiées des établissements humains, donc des activités économiques. La principale fonction multiséculaire de l’estuaire a d’abord été celle d’accès aux « fronts maritimes intérieurs » placés en tête d’estuaire (Bordeaux, Nantes, Rouen). Il en a découlé l’aménagement de chenaux ou la création de canaux latéraux, l’établissement de digues et d’épis, pour des besoins de sécurité et de nécessité de vitesse pour les transports maritimes ; les apports sédimentaires et la divagation des chenaux naturels étaient en effet des obstacles à la navigation. L’aménagement de ces estuaires a conduit à draguer des quantités énormes de sédiments qui ont été le plus souvent déposés à terre, et ont accentué les atterrissements et comblements de la partie amont des estuaires. Ces terrains gagnés sur la mer, et marécages ont été accaparés par l’agriculture qui pendant longtemps fut de type extensif, élevage de bovins par exemple.

 Après le Moyen Age, le XVIIIe et  XIXe siècles représentent à nouveau une certaine apogée d’occupation agricole du littoral. Les paysages  à cette époque constituent une sorte de perfection (les hommes ont su maîtriser, domestiquer la nature) ils restent équilibrés à la dimension de l’homme. Cependant vers la fin du XIXe siècle, l’espace agricole est fragilisé par le développement de la monoculture notamment le long des côtes du Languedoc. Avec les communications internationales grandissantes et avec elles l’introduction d’espèces nuisibles comme le phylloxéra de la vigne cette fragilisation est encore accentuée. La lutte contre le développement de cette maladie du vignoble oblige alors à rechercher pour la viticulture des terrains inondables.  C’est ainsi que les marges des étangs, les cordons littoraux dont les sols sableux parraissent adaptés à ce type de culture sont drainés ou aplanis modifiant la physionomie générale des étangs languedociens et de la Camargue : tamaris, oliviers de Bohème, cannes de Provence sont plantés afin de protéger la vigne des vents dominants. Tous ces aménagements façonnent un paysage totalement nouveau.

                  Cependant, c’est vers la fin du siècle dernier, avec la révolution industrielle et technique, qu’est apparu un nouveau rapport de l’homme au paysage. Les estuaires et leurs zones portuaires facilitent l’accès et l’échange des matériaux et produits, ce qui a entraîné l’implantation d’industries lourdes ; celles-ci exigent à leur tour de meilleures conditions d’accès et encouragent ainsi la modification des infrastructures portuaires. L’augmentation de la taille des bateaux a fait déplacer les activités portuaires vers l’aval (Fos, Le Havre, Donges ) ce qui a eu pour conséquence de recouvrir des milliers d’hectares fertiles par des remblais stériles. Tous ces développements ont eu un impact important sur le reste des activités économiques et sur la dynamique écologique propre des estuaires. L’aménagement s’est souvent fait malheureusement avec violence. Tout cela a entraîné une urbanisation du littoral, l’impact sur l’environnement se limitant toutefois à quelques gros noyaux industriels et urbains mais avec toutes les nuisances chimiques d’origine domestique ou industrielle qui, le plus souvent, en découlent.

Toutefois, la cassure profonde date des années 50 et 60, avec le développement de l’agriculture intensive et surtout l’arrivée du tourisme de masse. L’agriculture intensive implique une irrigation massive, la nécessité de drainage, l’emploi de produits phytosanitaires. Tout cela est généralement facteur de déséquilibres écologiques et  préjudiciable à toutes les catégories socioprofessionnelles exploitant les zones humides côtières. Avec le tourisme de masse, le littoral se dote alors d’infrastructures lourdes qui ont un impact essentiel sur le paysage et sur les écosystèmes fragiles du littoral : autoroutes, bases de loisirs, centres d’hébergement, marinas, lotissements, complexes hôteliers, ports de plaisance se multiplient, morcelant le paysage terrestre et empiétant sur le domaine maritime. Ces aménagements prennent le plus souvent une tournure conflictuelle.

Ainsi, le littoral est victime de ses propres atouts qui permirent le développement de nombreuses activités, jusqu’au point de les compromettre et d’hypothéquer en retour certaines activités.

Il a été estimé que, de par le monde, vers les années 2000, la population humaine occupera une bande côtière étroite d’environ 60 km de large. Déjà maintenant, en Asie du sud-est, 65% des villes dépassant 2,5 Millions d’habitants, sont localisées le long des côtes. La France, quant à elle, possède 5 500 km de côtes dont 800 km d’estuaires, où les activités portuaires, industrielles, touristiques, agricoles, aquacoles, se répartissent et s’enchevêtrent, suscitant le développement de l’habitat. La densité de population permanente y est trois fois supérieure à la moyenne nationale et jusqu’à neuf fois pendant la période estivale. Cette tendance continue à croître. On estime que depuis 20 ans environ 20% des zones « naturelles » des régions côtières ont disparu ; 20% du sol des communes littorales sont urbanisés de façon dense et si on ajoute les zones de mitage, c’est plus de la moitié du littoral français qui est urbanisé. Dans certains départements, comme les Alpes Maritimes, où l’aménagement est dicté uniquement par le marché foncier, 92% du linéaire côtier est urbanisé ; on en est arrivé à  un état d’irréversibilité qui laisse peu de manœuvre pour la vie collective de demain. A l’heure actuelle, on estime pour les pays bordant la Méditerranée que 4400 km2, dont 90% dans les trois pays du Nord Ouest, ont été consommés par les emprises au sol associées aux hébergements touristiques sur le littoral. C’est tout à fait considérable si l’on songe que la quasi totalité de cette surface concerne une bande littorale dont la profondeur excède rarement le kilomètre.. On imagine sans peine, si ce rythme d’urbanisation est maintenu, l’étendue de la destruction de biotopes d’intérêt écologique exceptionnel qui en résulterait si de drastiques mesures de protection n’étaient prises.

Préserver, restaurer l’environnement littoral constituent une impérieuse nécessité.

Ecosystèmes littoraux.  Les menaces, les atteintes.

La zone littorale forme une bande étroite de quelques centaines à quelques milliers de mètres de part et d’autre de la ligne de rivage. Cette zone côtière représente environ 8% de la surface terrestre. Elle est constituée d’une mosaïque d’écosystèmes terrestres et aquatiques qui présentent un intérêt écologique exceptionnel de par leur diversité, et un intérêt économique certain.

 C’est dans cette zone côtière marine qu’en raison de l’intensité de la photosynthèse (lumière, sels nutritifs abondants), la vie marine est la plus intense et s’y concentre. Dans les autres fonds marins, sauf exceptions, la biomasse est comparable à celle des déserts. Un grand nombre de communautés biologiques marines s’y sont développées, aussi diverses que les communautés intertidales, celles des marais, des herbiers de phanérogames, de grandes algues, des grottes sous marines celles des mangroves, des récifs dans les zones tropicales, etc. Ce sont les substrats eux-mêmes dépendants des courants et de la houle qui constituent un des facteurs principaux qui conditionnent la distribution de ces espèces benthiques, et donc des paysages sous-marins.

Cependant, le milieu marin difficile à pénétrer dans sa plus grande partie, a longtemps protégé les organismes  vivant en son sein des actions anthropiques. La poussée démographique, l’industrialisation et l’urbanisation font qu’actuellement, en l’espace de quelques décennies, cette partie du littoral marin est de plus en plus agressée avec pour conséquence la destruction des habitats. Et ce qui l’a protégé pendant un temps devient un handicap : des systèmes moins accessibles, ce sont aussi des systèmes plus difficiles à appréhender (retard de la connaissance du milieu marin) et qui se trouvent « loin des yeux, loin du cœur » pour la plupart des gens y compris les décideurs.

Pollution chimique

Le problème majeur de ces zones littorales marines est la pollution des eaux par les rejets telluriques (agglomérations, usines, fleuves). Ces eaux charrient jusqu’à la mer huiles usagées, déchets ménagers, germes bactériens, matières organiques, engrais, des molécules à risque, métaux lourds, pesticides, herbicides... L’emploi des biocides est largement répandu en milieu agricole, urbain et domestique (lutte contre les insectes, champignons, végétaux,..). Des substances nouvelles de plus en plus actives et de plus en plus nombreuses sont synthétisées par l’industrie.

Ces substances provoquent une altération de la qualité de l’eau de mer conduisant à des effets néfastes sur l’exploitation des ressources vivantes (pêche, aquaculture), sur la santé humaine (produits insalubres, plages et eaux de baignade polluées) sur l’économie touristique, et sur la faune et la flore marines, conduisant à des communautés marines moins diversifiées.  Le problème réside surtout dans  le devenir de ces molécules dans le milieu marin, la difficulté de les détecter, et la connaissance des mécanismes d’accumulation dans tous les maillons des réseaux trophiques. Sachant que tous les polluants ne se comportent pas de la même manière selon les conditions du milieu, que le métabolisme de chaque espèce introduit également de fortes variations, que les polluants ne se concentrent pas de la même manière selon les organes des organismes marins (foie, muscle, rein) on comprend les difficultés à apprécier les risques encourus par le milieu et les répercussions sur la santé humaine. Le risque est grand aussi que certaines de ces substances persistantes et présentes à l’état de traces viennent modifier les caractères génétiques des espèces. Dans ce domaine, les connaissances sont faibles ainsi que les moyens donnés aux sciences de l’environnement pour tenter de répondre à ces interrogations.

En Méditerranée, on estime que 120.000 tonnes d’huiles minérales, 12.000 tonnes de phénols, 60.000 tonnes de détergents, 100 tonnes de mercure, 3.800 tonnes de plomb ainsi que 800.000 tonnes d’azote et 32.000 tonnes de phosphates sont déversées chaque année par les industries, les exploitations agricoles et les centres urbains. Le Rhône, à cause des effluents industriels qui s’y rejettent, est l’une des sources principales de pollution chimique en Méditerranée occidentale. L’intensification des pratiques culturales en arboriculture, viticulture et horticulture qui se traduit par une utilisation massive de pesticides et fertilisants a conduit à une contamination souvent grave des écosystèmes dulçaquicoles et lagunaires des plaines côtières méditerranéennes. Il existe de nombreux exemples de mortalités importantes survenues dans les peuplements aquatiques et les oiseaux. Les pesticides sont devenus un problème majeur pour la conservation des habitats et des espèces d’oiseaux migrateurs dans la vallée de la Beka’a ( Liban) et dans l’isthme de Suez (in F.Ramade, 1991). Sur les côtes françaises, les problèmes de pollution chimique les plus préoccupants sont ceux des PCB en baie de Seine (et à un moindre degré au débouché du petit Rhône et en rade de Toulon) et du cadmium en Gironde, à la fois par les niveaux de pollution observés et par l’ampleur géographique de la zone contaminée.

La seule solution est d’éviter la pollution à la source en adoptant des processus de fabrication propres qui réduisent la production de déchets et évitent celle des déchets toxiques dans l’industrie ainsi qu’en adoptant une nouvelle approche globale de l’agriculture plus respectueuse de l’environnement. Pour les substances chimiques toxiques rémanentes et bioaccumulables il devrait être mis en place un processus menant à leur élimination.

Sels nutritifs et eutrophisation.

Les activités humaines peuvent contribuer à enrichir les eaux littorales en sels nutritifs tels l’azote et le phosphore. Ceux-ci, amenés en quantité raisonnable, rendent le milieu plus fertile, plus productif. Les sites côtiers, tels les embouchures des fleuves, sont en effet le siège d’activités biologiques importantes à tous les maillons de la vie aquatique.

Mais le développement de l’urbanisation et l’intensification des pratiques agricoles ont donné lieu à une augmentation importante des charges nutritives, et ceci de façon d’autant plus accentuée que les zones humides qui autrefois caractérisaient les berges des fleuves et celles des zones côtières ont disparu. Ces zones humides fonctionnaient comme pièges à particules ; par ailleurs, elles permettaient, par la prolifération d’une végétation particulière, d’absorber les éléments nutritifs des eaux, qu’elles épuraient avant que celles-ci ne parviennent à la mer. Inversement, l’urbanisation a rendu ces sols imperméables permettant un écoulement plus rapide des eaux polluées vers la mer. Il en résulte que la surabondance de ces éléments nutritifs dans les eaux marines, couplée à des conditions particulières d’ordre géomorphologique, météorologique et climatique conduit souvent à des déclenchements de prolifération d’algues de plus en plus fréquents, et de plus en plus intenses. Ce sont ces phénomènes dits d’eutrophisation qui apparaissent sur nos côtes sous deux formes :

·         Les marées vertes à ulves, qui encombrent certaines plages et baies du littoral nord de la Bretagne, et entravent le tourisme ; les ulves envahissent également les lagunes méditerranéennes du Languedoc aux dépens des herbiers de phanérogames qui déterminent la richesse halieutique et cynégétique de ces ecosystèmes. Dans les étangs peu profonds, ces ulves en période estivale, sont annonciatrices d’une crise de dystrophie aiguë appelée « malaïgue » ou mauvaises eaux, qui conduit à une diminution puis disparition de l’oxygène dissous dans l’eau. Celle-ci devient impropre à la vie de la plupart des organismes aquatiques et entraîne des conséquences désastreuses pour les productions halieutiques et aquacoles.

·         Une autre forme d’eutrophisation est la prolifération de micro-algues qui conduisent aux colorations jaune, vert, rouge, des eaux côtières. Ces proliférations sont parfois si intenses, qu’elles conduisent également à un déficit très prononcé des eaux de fond en oxygène dissous, et entraînent la mort de la faune marine. Ces phénomènes localisés se produisent généralement dans des baies ; mais récemment, ils s’amplifient et s’étendent sur des surfaces marines beaucoup plus étendues, notamment en mer du Nord, et dans le bassin nord de la mer Adriatique. Les caractéristiques hydrodynamiques de la mer Adriatique, sa faible profondeur, les quantités énormes d’éléments nutritifs relargués par le Pô, et les effluents domestiques d’une côte surpeuplée en période touristique, favorisent les floraisons exceptionnelles d’algues planctoniques dont certaines sont parfois toxiques (ce qui oblige à interdire la vente des coquillages). Des conditions climatiques inhabituelles ont conduit en 1989 à une crise d’eutrophisation extrêmement sérieuse mettant en danger la saison touristique et les activités de pêche sur plus de 100 km de côtes italiennes. La formation de masses gélatineuses excrétées par les algues et bactéries, rendant la mer sale (« sporco mare »), colmatant les filets de pêche, interdisant toute baignade, a fait fuir les touristes.

Les proliférations d’algues toxiques s’observent aussi le long des côtes françaises, ce qui oblige à une surveillance particulière sur les sites conchylicoles et mytilicoles pour déceler la présence de certains dinoflagellés responsables de gastro-entérites (Dinophysis) ou parfois de paralysies pouvant entraîner la mort (Alexandrium) ainsi que la présence de toxines dans les coquillages. A dire vrai, ces phénomènes de toxicité existaient bien avant l’urbanisation et l’industrialisation des côtes mais ils semblent s’amplifier en intensité et fréquence. Cependant, il serait  hasardeux d’ imputer certains évènements toxiques à une diminution de la qualité des eaux littorales. Le débat est encore ouvert chez les spécialistes : le manque de données sur une longue période de temps, une connaissance scientifique encore partielle de ces phénomènes ne permettent pas de conclure.

Pour ce genre de pollution, l’action passe par un effort soutenu en matière de traitement des rejets aqueux, mais surtout par la généralisation de modes d’exploitation agricole plus respectueux de l’environnement.

Pollution bactérienne.

Une autre pollution préoccupante est la pollution bactérienne. Les effluents domestiques, en partie épurés par des stations d’épuration de type physicochimique, déversent encore une grande diversité de microorganismes, virus et bactéries, notamment des pathogènes. La baignade, mais surtout la consommation de coquillages sont susceptibles de mettre l’homme en présence de ces germes pathogènes. Des efforts de collecte, de traitements d’eaux usées ont été faits et ont amélioré bien des sites. Cependant, des zones restent insalubres, dans lesquelles les coquillages ne peuvent être élevés, ce qui limite actuellement, avec la pollution chimique, l’implantation de nouveaux sites aquacoles.

 Des solutions sont proposées : le lagunage en est une. L’ennui c’est qu’il faut environ un hectare pour 10 000 habitants, ce qui pose un problème foncier, mais cela peut créer, bien aménagés, des plans d’eau avec végétation agréable, propices à l’installation de toute une faune. Certains proposent, si on ne peut mieux épurer les effluents, de les rejeter en profondeur au-delà de cent mètres. Le frein est alors d’ordre financier. D’autres préconisent de réutiliser ces eaux pour divers usages (arrosage de golfs, pelouses, stades) solution qui pourrait être envisagée dans les zones déficitaires en ressources naturelles d’eau, notamment dans les zones insulaires. C’est le cas de la station pilote de Porquerolles en Méditerranée.. On a installé là une station d’épuration biologique avec, à la sortie, un système de lagunage composé de trois bassins en série figurant un paysage d’étangs. Les eaux traitées issues du lagunage sont utilisées pour l’irrigation de vergers. Ce système paraît-il fonctionne depuis huit ans sans impact négatif sur la qualité des eaux souterraines ou superficielles ainsi que les sols, sur la santé du personnel chargé d’irriguer, et sans provoquer de nuisances particulières comme des dégagements de mauvaises odeurs.

Certes, dans la réutilisation des effluents urbains, des problèmes sanitaires, d’impact de la qualité fertilisante de ces eaux sur la végétation et les sols, de la salinisation par irrigation, doivent être résolus. Mais dans les pays méditerranéens, où les problèmes de ressources en eaux se posent de plus en plus, cette  solution s’inscrit clairement comme un des moyens de gestion globale de la ressource en eaux. C’est un moyen aussi de limiter les risques d’incendie et d’érosion des sols tout en préservant les zones littorales.

 On peut espérer que les S.A.G.E. (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux) qui sont en cours de mise en place avec la nouvelle loi sur l’eau (1992) puissent l’être rapidement et que les agences de l’eau se mobilisent plus sur la partie maritime et littorale de leur bassin. Cette loi fait de l’eau un patrimoine commun de la nation, et instaure la création d’un nouveau système de planification de la gestion de l’eau. Encore une fois quels usages en fera-t-on ? Souffriront-ils, comme beaucoup de structures mises en place dans le passé, d’un manque de démocratie et de transparence.

L’urbanisation

Mais ce qui dégrade plus intensément et de manière irréversible le littoral, la nuisance principale, demeure le béton. La partie marine du littoral en souffre mais c’est surtout la partie terrestre qui est complètement dégradée par cette frénésie de bétonnage.

On assiste actuellement à un recul spectaculaire de la ligne de côte et à une détérioration de notre patrimoine écologique, touristique et économique. Sur les 5500 km de notre littoral, 850 km sont soumis à un recul moyen de plus d'un mètre par an. Combiné à des tempêtes exceptionnelles de grandes marées, le recul a pu atteindre dans certaines zones (Somme, Etretat), 15 m en quelques jours. Comme toujours, les causes de ces érosions sont multiples : courants, marées, houles auxquels s’ajoute une lente remontée du niveau de la mer depuis 10.000 ans mais aussi dans certaines zones des phénomènes de subsidence du continent. La zone littorale, en effet, est en constante évolution, les rivages sont naturellement instables. Les estuaires et les deltas évoluent au gré des apports de sédiments lors des crues, des reculs sont observés lors de tempêtes et de raz de marée.

Mais, là encore, les interventions humaines, sur les fleuves notamment, accélèrent ces processus : extraction des matériaux, dragages d’entretien, barrages, ont réduit les apports terrigènes en mer.  Aux Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue, on a constaté un recul de la côte de 450 m depuis 1942, et les collectivités locales doivent combattre cette tendance érosive par des digues, épis, immersion de brise-lames avec un succès pas toujours évident.

Par ailleurs, en Méditerranée, les aménagements aberrants, les endigages, les plages artificielles, les ports de plaisance ont détruit ou modifié une tranche de vie marine la plus importante entre zéro et vingt mètres. Des hectares d’herbiers de posidonies, véritables pouponnières pour les poissons,  ont disparu sous les aménagements. Ces ouvrages modifient la dynamique des courants côtiers, amenuisent les transports de sédiments ; en conséquence, les plages coupées de leur alimentation livrées à l’érosion marine, reculent. De même, les infrastructures routières et ferroviaires, situées à proximité de la ligne de côte, sont responsables de l’arrêt des processus naturels d’édification et d’évolution des rivages. Cela peut conduire à une érosion importante de la côte. C’est le cas sur le tracé de nombreuses voies ferrées en Italie.

Or, les écosystèmes littoraux continentaux, c’est-à-dire ceux de la frange terrestre influencée peu ou prou directement ou indirectement par la mer ou sa proximité, comprennent toute une série de biotopes caractéristiques, tels que les dunes, les vases salées, falaises,...La zone des embruns et des marées exceptionnelles (étage supralittoral) présente des communautés d’espèces exceptionnelles, lichens maritimes, plantes halophiles et psammophiles, espèces de tourbières, etc. Elle accueille également des oiseaux marins, tributaires de la terre ferme pour se reproduire, au minimum, durant la phase d’incubation. La zone intertidale ou estran (frange soumise au balancement des marées) est connue pour sa richesse biologique en invertébrés et en oiseaux. Les limicoles (petits échassiers) et certains Laridés, dépendent étroitement de cette zone. De même les oiseaux en migration et en hivernage sont également tributaires de la zone marine littorale. Les écosystèmes dunaires, quant à eux, sont les premiers menacés par la pression d’urbanisation et d’aménagement touristique du littoral. Or, ces dunes abritent de véritables trésors floristiques, des associations végétales rares, souvent même endémiques. Il a été estimé que près de 17% de la flore littorale est actuellement en danger. En raison de la grande fragilité des biotopes littoraux et l’amplification accélérée des menaces, il est malheureusement probable que ce pourcentage n’augmente rapidement dans l’avenir. En effet 1/10 de la flore n’existe, en France, que sur le littoral, c’est-à-dire sur 1/10.000 de son territoire. Leur localisation en bord de mer les rend particulièrement vulnérables par suite de piétinement dû à la surfréquentation balnéaire, de morcellisation des espaces naturels et de destruction pure et simple consécutive aux opérations immobilières en bordure de mer.

On constate d’autres nuisances consécutives à ce bétonnage intense. Ainsi, dans les Alpes Maritimes, l’urbanisation quasiment continue entraîne naturellement des besoins de communication  avec des atteintes à l’espace dues à l’élargissement, la modernisation des voies de communication. On va jusqu’à doubler les routes en utilisant les lits majeurs des rivières (Var), voire le lit mineur, ce qui entraîne des catastrophes naturelles. L’afflux touristique également provoque un phénomène de banalisation des paysages avec un affichage débordant, panneaux gigantesques et mobiliers publicitaires encombrants, notamment aux entrées des villes.

Cette phase d’aménagement massif semble cependant terminée. On observe un certain retournement de la demande : cette consom-mation d’espace de paysages dilapidés par des constructions d’architecture le plus souvent médiocre a entraîné la perte de leur identité et de leur attractivité pour les touristes. On constate ainsi de véritables friches dans des régions pourtant ensoleillées comme les Canaries. Le risque reste néanmoins élevé. La crise qui secoue les activités traditionnelles, notamment agricoles, tend à une monoactivité touristique sur le littoral, qui en l’absence de concurrence voit son pouvoir se renforcer vis-à-vis des autorités publiques.

Pour le professeur Ramade, un effort considérable de créations de nouvelles zones protégées est indispensable notamment dans toutes les aires d’endémisme. Cependant, les politiques de conservation du territoire ne doivent pas négliger les parties du territoire non destinées à la protection. La conservation doit faire partie intégrante des politiques d’aménagement agricole, forestier et pastoral. La condition première indispensable est le maintien des activités rurales en zone littorale

Des mots-clefs : développement durable, respect de l’environnement, démocratie.

                                    L’espace littoral est donc devenu en un quart de siècle un espace rare convoité par de multiples utilisateurs souvent concurrents. Il est soumis à de fortes pressions foncières qu’accentue la crise des activités traditionnelles.

La décentralisation a réparti davantage de compétences aux responsables locaux pour l’aménagement du littoral. Mais qu’en ont-ils fait ? Les plans d’occupation des sols (POS), la délivrance des permis de construire, la possibilité de créer, d’aménager et d’exploiter des ports de plaisance rentrent maintenant dans les prérogatives des communes littorales. Or, depuis près de quinze ans, 1% des espaces naturels littoraux continuent à disparaître chaque année.

Si un certain nombre de maires refusent l’urbanisation à outrance, et défendent le patrimoine naturel de leur commune, beaucoup ne peuvent ou ne cherchent pas à résister aux promoteurs. Pourtant, les communes sont dans l’obligation de se conformer à la législation sur les espaces sensibles et d’intérêt général définis par les départements, aux prescriptions régionales d’aménagement et d’urbanisme et aux dispositions prévues par la loi du littoral du 3 janvier 1986.

Mais ces dispositions de la décentralisation sont limitées par les moyens des communes, leur réticence à mener des coopérations intercommunales indispensables à tout aménagement d’ampleur. Il faut dire également qu’une commune qui décide de geler un terrain ou qui possède de nombreux espaces naturels nécessitant un entretien se trouve pénalisée par rapport à des communes voisines qui ont réalisé des aménagements touristiques tirant profit de l’attractivité des lieux. Il est indispensable de trouver des mesures compensatoires entre communes comme les moyens de faire participer les opérateurs privés qui bénéficient directement des sites naturels aux charges supportées par les communes. Aujourd’hui, les modalités de calcul de la dotation financière de l’Etat aux communes favorisent celles qui multiplient les places de parking et l’urbanisation aux détriments de celles qui préservent les espaces naturels.

Réviser ou modifier un POS est un jeu d’enfant. Le recours à la procédure de révision est très fréquent. Dans les Alpes-Maritimes, en 1990, sur 109 POS approuvés, 56 étaient en révision. Et ce sont paradoxalement les espaces les plus sensibles qui se trouvent touchés par l’instabilité des POS.

 Un rapport du Conseil d’Etat daté de 1992 sur l’urbanisme constate que : « La réunion de facto entre les mêmes mains d’instruments multiples a affaibli la perception de la finalité de chacun. Editer une règle et l’appliquer sont deux fonctions distinctes dont la seconde est logiquement subordonnée à la première. Mais, lorsque l’autorité qui délivre les permis est aussi celle qui peut provoquer la modification de la règle en fonction de laquelle les permis sont délivrés, comment, en présence d’un projet non conforme à l’état actuel de la règle, ne serait-elle pas, contexte local aidant, tentée de provoquer la modification de la règle. Ce n’est plus alors le projet qui s’adapte à la règle, mais la règle qui s’adapte au projet ; et modifier la règle est perçu comme une façon de l’appliquer ».   

« Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. » (Montesquieu)

D’autre part, le flou des textes, leurs imprécisions, facilitent les abus, les conflits et une urbanisation illicite qui n’est que trop rarement remise en cause par l’Etat. En particulier, les zones dites NA, c’est‑à‑dire zone d’urbanisation future, nourrissent une stratégie de grignotage. En effet, lors de la révision des POS, de vastes zones sont classées NA avec la promesse de définir de larges coupures naturelles dans les futures négociations. « On désarme ainsi les opposants obligés d’attaquer une absence de projet formulé. On laisse le temps faire son œuvre, les esprits s’habituer à une urbanisation future. Quand il sera l’heure de présenter le projet, ce dernier pourra se prévaloir d’une légitimité du droit acquis. » (Rapport Actour, 1988).

Pour tout projet d’ouvrage ou de travaux conséquents, le législateur impose une étude d’impact qui a pour objet de permettre d’apprécier, dans la transparence et la clarté, les conséquences des ouvrages sur le milieu naturel ; cependant, sa portée est limitée par le fait que l’enquête arrive en fin de procédure, et qu’en tout état de cause, l’étude d’impact n’interdit rien et ne comporte pas de règles obligatoires pour les intéressés. Cette procédure générale est donc loin d’assurer une protection efficace de l’environnement littoral.

La loi « littoral » de 1986, par contre, pose des règles contraignantes. Cette loi met en relief, à la fois un volet « protection » et un autre de « mise en valeur » du littoral. Or, il semble bien que sous la montée de la sensibilité « écologique », cette loi a plutôt été interprétée et appliquée avant tout comme une loi de protection. Certains articles sont particulièrement importants pour la protection du littoral : 

·         L’extension de l’urbanisation, soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux intégrés à l’environnement .

·         La nécessité de prévoir des coupures d’urbanisation pour éviter précisément une urbanisation linéaire.

·         Le principe de l’inconstructibilité totale dans la bande littorale des 100 m dans les espaces non encore urbanisés.

Mais la portée de cette loi est limitée par un certain nombre d’imprécisions, le flou de certaines notions, ce qui génère un nombre croissant de contentieux. En particulier, il est difficile de saisir la portée exacte de la règle précédente (inconstructibilité) dans les secteurs littoraux où l’urbanisation est diffuse et le mitage souvent avancé.

Par ailleurs, cette loi, pourtant modérée, a toujours été assez régulièrement violée. Les pressions ne diminuent pas ; ce qui n’a rien d’étonnant dans la mesure où s’installe une monoactivité touristique liée à la présence d’espaces naturels, qu’elle dégrade et morcelle par son développement. Elle fait donc aujourd’hui l’objet d’un nombre croissant de critiques, principalement de la part d’élus locaux.

 Il y a quasi inexistence du contrôle de légalité des actes des collectivités locales en matière d’urbanisme : le Conseil d’Etat fait remarquer une absence presque complète de déférés préfectoraux, en moyenne trois par an et par département (soit 270) pour l’ensemble des actes (~730.000) pris en application du code de l’urbanisme. Cette situation, dit le Conseil d’Etat, discrédite l’Etat, incapable de remplir une mission qui est manifestement la sienne.

Non efficace en ce qui concerne la protection de l’environnement, qu’en est-il de l’autre volet, celui de la mise en valeur du littoral, la préservation et le développement des activités économiques liées à la proximité de l’eau ?

Ces différentes activités devaient être planifiées dans le cadre des Schémas de Mise en Valeur de la Mer (S.M.V.M.). On passe ainsi d’un territoire à l’échelle de la commune à celui d’une unité géographique plus vaste. Les contraintes d’une telle planification, la multiplicité des acteurs, le manque de volonté de part et d’autre, expliquent que les S.M.V.M. sont quasi inexistants.

Les mécanismes traditionnels du marché s’avèrent inadaptés pour déterminer l’affectation des espaces naturels ou non urbanisés encore disponibles. Il n’est pas plus envisageable de laisser faire le mouvement actuel d’urbanisation que de geler purement et simplement l’ensemble des espaces en prônant la croissance zéro.

Il convient de concevoir un développement compatible avec l’environnement, ou plus précisément des formes multiples de développement compatibles avec la diversité des milieux naturels. En cela, l’objectif des S.M.V.M. reste d’actualité pour engager des réflexions globales entre les acteurs multiples pour un aménagement harmonieux. Tout dépendra de comment va s’engager la concertation. Cela nécessite la plus grande transparence des projets, la plus grande démocratie. Cela ne peut se faire sur des bases clairement définies identifiées, qu’à condition de mener à bien les controverses scientifiques afin d’alimenter objectivement le débat public.

Bibliographie.

 

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Naturellement n°44, octobrenovembre 1992. Littoral en complet béton