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La Plaine du Cul-de-Sac

(République d’Haïti) :

des dégradations à un aménagement raisonné

 

 

Pascal SAFFACHE

Université des Antilles et de la Guyane,

département de géographie-aménagement,

BP 7207, 97233 Schœlcher Cedex

 

 

Introduction

D’une superficie de 28.000 km2 environ, la République d’Haïti occupe toute la partie occidentale de l’île d’Hispaniola et est séparée de la République Dominicaine (qui occupe la partie orientale) par une chaîne de montagne. Baigné par la mer des Antilles au sud et l’Océan Atlantique au nord, cet état compte une population moyenne de huit millions d’habitants, dont une partie occupe la Plaine du Cul-de-Sac.

D’une superficie de 360 km2, il s’agit d’une dépression dont les extrémités septentrionales et méridionales sont circonscrites par des reliefs montagneux[1], alors que les marges occidentales et orientales le sont par la baie de Port-au-Prince et l’Etang Saumâtre[2]. Cette zone d’accumulation sédimentaire résulte de la convergence de nombreuses rivières et forme une structure encaissante qui renferme la plus grande nappe d’eau souterraine du pays. Si cette nappe sert à irriguer les produits maraîchers vendus sur les marchés de la Croix-des-Bouquets et de la Croix-des-Missions, elle sert aussi à approvisionner Port-au-Prince en eau, puisque ce sont chaque année près de 15 millions de m3 d’eau douce qui y sont distribués (Holly, 1999 ; Saffache, 2002). D’autres activités s’y concentrent – commerces, industries de transformation, etc. – donnant au secteur un caractère particulièrement attrayant. La population a d’ailleurs quasiment doublé entre 1982 et 1996, passant de 1 387 à 2 124 individus au quartier Ganthier par exemple (IHSI, 1996).

 

En raison de l’importance des activités qui y sont pratiquées, de nombreuses atteintes environnementales ont été recensées : déforestation, érosion des sols, pollution, etc. A travers les exemples de l’agriculture, de l’urbanisation et de l’extraction minière, les dégradations les plus flagrantes seront mises en lumière ; des propositions de réhabilitation et d’aménagement seront ensuite proposées.

 

 

I. Des atteintes environnementales de grande ampleur

I.1 L’activité agricole

La Plaine du Cul-de-Sac a toujours servi de support à l’activité agricole, puisqu’à l’époque coloniale y était déjà cultivés des indigotiers[3]. Au fil des décennies, cette production s’est essoufflée, laissant la place à des champs de canne à sucre. Bien qu’ayant marqué plus durablement l’espace, l’activité cannière s’est repliée progressivement passant de 11 948 hectares en 1996 à moins de 3 000 hectares en 1999 (Holly, 1999). Les cultures de tomate et de tabac qui représentaient l’une des activités phares de la plaine ont périclité, elles aussi, en raison de problèmes phytosanitaires (présence de parasites) et de la diminution des subventions de la compagnie « Comme il faut », l’unique producteur de cigarettes du pays. Les anciennes surfaces cannières et maraîchères sont maintenant en friche ou partiellement occupées par des cultures fruitières, légumières et vivrières. Pour ne prendre qu’un exemple, alors que la production fruitière n’occupe que 500 hectares, les autres cultures (légumières, bananières et vivrières[4]) occupent respectivement 1 400,  1 600 et 12 500 hectares environ (Mayard, 1983, Holly, 1999). L’activité agricole générant de moins en moins de profit – entre 1965 et 1985, les revenus moyens annuels des paysans haïtiens sont passés de 450 à 250 dollars (Bellande, 1987) – certains agriculteurs se sont reconvertis dans l’élevage de porcs ; bien que cette activité ait été florissante, elle est de plus en plus concurrencée par les importations de produits congelés en provenance des États-Unis et de la République Dominicaine.

 

Si cette activité agricole a une importance cruciale du point de vue économique et social, elle est à l’origine de dégradations environnementales profondes.

L’utilisation continue des terres[5] sans apport de matières organiques et de fertilisants chimiques, a entraîné leur épuisement et la chute de leur capacité de production. Leurs inondations répétées (au cours des mois d’avril-mai et de septembre, octobre et novembre) ont encore accentué leur perte de fertilité[6]. Si cette dégradation pédologique[7] perdure, elle aboutira inéluctablement à une stérilisation des sols et une désertification de la plaine (Holly, 1999). A ces problèmes s’ajoute l’affleurement de la nappe phréatique qui, sous l’effet de la chaleur[8], s’évapore et entraîne la formation d’efflorescences calcaires et salines comparables aux sebkras sahariennes. Une fois ces efflorescences formées, les surfaces sont inutilisables.

 

Les attaques parasitaires étant fréquentes, l’utilisation de produits chimiques se généralise ; si certains se dégradent facilement, d’autres ont une forte rémanence. Par exemple, le Nuvacon, et le Diazinon, utilisés pour lutter contre les parasites des légumes, ne doivent jamais être employés moins de 15 jours avant les récoltes, en raison des leurs incidences nocives sur la santé humaine (Holly, 1999). D’après certains témoignages glanés auprès des agriculteurs, ces produits sont parfois utilisés 2 ou 3 jours avant les récoltes en raison d’attaques parasitaires soudaines. Les agriculteurs ne pouvant se permettre de perdre leur unique moyen de subsistance, les populations sont donc contaminées par les produits qu’elles consomment. Cela ne pourrait-il pas expliquer le nombre élevé de décès d’origine inconnue recensés à Port-au-Prince ?

 

Ces activités agricoles étant consommatrices d’espace, elles sont à l’origine d’une dégradation du couvert végétal ; le substratum n’étant plus protégé de l’énergie cinétique des gouttes de pluie, l’érosion des sols est maximale (en avril-mai et de septembre à novembre). Ces pratiques entraînent aussi la disparition de certaines espèces végétales ; pour ne prendre qu’un exemple, les berges de l’Etang Saumâtre étaient jadis colonisées par des palétuviers dont les racines échasses et les pneumatophores filtraient et fixaient les sédiments charriés par les rivières. Pour sortir de leur logique de misère et augmenter leurs revenus, les paysans n’ont eu d’autres choix que de transformer ces végétaux en charbon de bois (seule activité encore susceptible de leur permettre de dégager quelques profits (Saffache, 2001) et source principale d’énergie pour la majorité de la population). En agissant ainsi, ils n’ont fait qu’accentuer les dégradations en favorisant l’apparition de phénomènes de ruissellement et d’érosion encore plus violents et souvent beaucoup plus fréquents (Victor, 1996 ; Saffache, 2001).

L’un des indices visibles de la dégradation du milieu est la disparition de certains animaux : les flamands roses (Phenocopteras ruber), jadis si fréquents dans la Plaine du Cul-de-Sac, ont aujourd’hui quasiment disparu ; il en est de même des oiseaux migrateurs et des crocodiles qui ont progressivement déserté les rives de l’Etang Saumâtre (Victor, 1996 ; Bouchon, 2000).

 

Même les procédures de diversification agricole – élevage de porcs – ont des incidences nocives sur le milieu, puisque le lisier de porcs rejeté directement dans les rivières ou épandu sur le sol participe activement à la pollution du réseau hydrographique et de la nappe phréatique. Les maladies diarrhéiques et dermatologiques si fréquemment diagnostiquées pourraient être liées à ce type de pollution.

 

I.2 L’urbanisation

La Plaine du Cul-de-Sac est particulièrement attractive, puisque ce sont chaque année des centaines de migrants qui s’y installent. Cet attrait revêt un caractère original, puisqu’il s’agit de la seule région d’Amérique centrale dont la croissance est mue par l’exode rural (Saffache et al., 2002). Dans tous les autres États de la région, la transition démographique ayant été réalisée depuis plusieurs décennies, la croissance résulte de l’accroissement naturel. Ces populations déracinées s’installent où elles le peuvent : le long des axes routiers (routes nationales n° 1,  n° 3 et route de malpasse) ou sur les surfaces de culture qu’elles transforment en des localités telles que Sarthe, Tabarre, Croix-des-Bouquets, Marin ou encore Bon Repos. Entre 1978 et 1994, les surfaces occupées par l’habitat sont passées de 1 900 à 2 500 hectares (IHSI, 1996), sous-tendant le morcellement et le repli de l’activité agricole.

 

Cette urbanisation anarchique conduit à la formation de quartiers aux ruelles tortueuses, étroites et plus généralement à des constructions réalisées sans normes techniques et esthétiques ; le paysage est alors profondément altéré. Ces quartiers ne disposant d’aucun service sanitaire élémentaire (raccordement à un réseau d’adduction d’eau potable, ramassage des ordures ménagères, etc.), les déchets s’accumulent à proximité des habitations ; les populations vivent donc dans une atmosphère pestilentielle.

Cette situation est encore aggravée par la quasi-inexistence de fosses septiques (Holly, 1999). Les populations se soulagent donc dans les lits des rivières ou en creusant des fosses d’aisance dans le sous-sol. La nappe phréatique affleurant, les excréments la polluent quotidiennement ; les maladies infectieuses et diarrhéiques si fréquemment diagnostiquées n’en sont que la conséquence logique.

 

I.3 L’extraction minière

Dans les rivières qui drainent la Plaine du Cul-de-Sac (rivières Grise, Blanche et de Despuzeau) s’accumulent du sable et des graviers qui sont prélevés quotidiennement, puis vendus sur les marchés de Port-au-Prince. Les parois abruptes que traversent ces rivières servent aussi de zones d’extractions minières, puisque ce sont des dizaines de camions qui viennent chaque jour s’y approvisionner (graviers, blocs, etc.). Les extractions mécaniques sont assez marginales, car elles nécessitent du personnel qualifié et des engins coûteux ; des ouvriers munis d’outils rudimentaires s’attèlent donc à remplir des camions de 6 tonnes, payés 20 dollars US l’unité.

 

II. Vers la mise en place d’un vrai plan d’aménagement et de développement

 

Contrairement à une idée reçue, la mauvaise gestion (ou l’absence de gestion) environnementale de la République d’Haïti ne résulte pas d’une absence d’outils législatifs, puisqu’il existe de nombreuses lois et décrets réglementant l’urbanisation, le stockage des déchets, l’utilisation des eaux souterraines et plus généralement la gestion des milieux[9] ; des aires protégées ont même été mises en place. Cet arsenal législatif n’est pas respecté car :

-     aucune campagne de sensibilisation n’ayant été réalisée, le grand public ne connaît pas les lois et les normes en vigueur (il est vrai que ces dernières fluctuent au gré des coups d’états et des gouvernements) ;

-     l’anarchie s’étant généralisée, les populations récemment arrivées appliquent les procédures qui leur semblent les plus commodes : elles reproduisent le modèle en place ;

-     les municipalités ne disposent pas de suffisamment de personnel qualifié pour informer les populations et faire respecter les règlements ;

-     enfin, la corruption étant généralisée, il est toujours possible de « s’arranger » avec le personnel communal ou étatique.

Face à cette situation peu reluisante et puisque ce sont toujours les plus démunis qui en pâtissent, il s’avère nécessaire de proposer quelques pistes de réflexion qui, à terme, pourraient être suivies par les autorités.

 

Dans un premier temps, il semble fondamental de lister les problèmes constatés et leur accorder un ordre d’importance ; la priorité devrait être donnée aux problèmes de logement et d’insalubrité, ensuite viendront les problèmes environnementaux généraux (déforestation, érosion des sols, défiguration du paysage, etc.).

Il convient d’empêcher la prolifération de l’habitat dans la Plaine du Cul-de-Sac, car c’est le « grenier » du pays. Cependant, s’il ne faut pas détruire l’existant – trop coûteux financièrement et socialement – il importe de circonscrire l’habitat le long des axes de communication à la manière des villages rues européens. Dans la mesure où il ne serait pas possible d’évacuer quotidiennement les déchets, il faut éviter qu’ils ne s’accumulent dans les rues et les champs en créant des décharges circonscrites géographiquement.

Dans une seconde phase, il conviendra de définir de nouvelles zones à urbaniser ; l’essentiel étant de choisir des secteurs à faible potentialité agricole (secteurs halomorphes ou calcicoles, pouvant cependant être desservis par des voies à grande circulation). Une autre contrainte réside dans le fait que ces nouveaux quartiers ne doivent pas être trop éloignés de la capitale (Port-au-Prince), sous peine de voir les migrants se disséminer dans la nature et reproduire le modèle (mitage de l’espace) contre lequel ces nouvelles procédures sont censées lutter.

Il est évident qu’en dépit de la mise en place de ces procédures[10] tous les problèmes ne seront pas résolus immédiatement. L’objectif étant de mettre en place un programme d’aménagement cohérent et durable, il faut donc agir sur le long terme et non à l’échelle d’un mandat, si l’on veut améliorer durablement les conditions de vie de la population.

 

 

Conclusion

En définitive, pour aménager la Plaine du Cul-de-Sac et pallier les dégradations précédemment évoquées, les responsables politiques devraient mettre de côté leurs différends et former un vrai gouvernement d’union nationale ayant pour objectif de remettre le pays sur la voie du développement.

Contrairement à ce qu a été fait jusqu’alors il ne faut plus aménager par petit bout ou par à-coups, mais avoir une vision globale de la région à aménager. Aménager, c’est planifier l’utilisation future de l’espace, dans le but d’entreprendre des actions durables ; les politiques d’aménagement haïtiennes se soldent trop souvent par des procédures de colmatage ou de bricolage pour être véritablement efficaces. Réaliser ce constat, c’est faire un pas décisif vers l’obtention de solutions durables.

 

 

Bibliographie

- Bellande A. 1987. Rationalité socio-économique des systèmes de production dans la zone de Madian-Salagnac (Thèse de l’Université Mac Gill), 165 p.

- Bouchon C. 2000. Diagnostic écologique des écosystèmes et des ressources marines côtières de la République d’Haïti, la région de Port-au-Prince à Saint-Marc. Rapport du Centre d’Etudes appliquées au milieu naturel des Antilles et de la Guyane, 20 p.

- Godart H. 1983. Port-au-Prince, les mutations urbaines dans le cadre d’une croissance rapide et incontrôlée. Thèse de Doctorat (3ème cycle), Université de Bordeaux III.

- Holly G. 1999. Les problèmes environnementaux de la région métropolitaine de Port-au-Prince. Ouvrage réalisé pour la commémoration du 250ème anniversaire de la fondation de la ville de Port-au-Prince, 221 p.

- IHSI. 1996. Port-au-Prince en chiffres. Port-au-Prince : Ministère de l’économie et des finances.

- Mayard M.D. 1983. Utilisations des terres dans la Plaine du cul-de-sac (1956-1978), problèmes et perspectives. Port-au-Prince.

- Roose E. 1999. Introduction à la gestion conservatoire de l’eau, de la biomasse et de la fertilité des sols (GCES). Rome : FAO, 420 p.

- Saffache P. 2001. De la dégradation à la restauration des sols : utilisation de méthodes traditionnelles et modernes en Haïti, Le Courrier de l’Environnement de l’INRA, 43, p. 102-106.

- Saffache P., Cospar O., Marc J.V. 2002. Port-au-Prince (Haïti) : de l’inorganisation spatiale aux dégradations environnementales, Contretemps (soumis), 7 p.

- Saffache P. 2002. Eau potable et sous-développement : le cas de la région métropolitaine de Port-au-Prince (Haïti), Ecologie et Progrès (soumis), 6 p.

- Verdheil V. 1999. De l’eau pour les pauvres à Port-au-Prince, Haïti, Mappemonde, 55, p. 14-18.

- Victor J.A. 1996. Energie, charbon de bois et dégradation de l’environnement. Rapport sans lieu d’édition, non numéroté.

 

 

 

 

 

Glossaire

 

Accroissement naturel : différence entre les taux de natalité et de mortalité.

Désertification : processus, naturels ou anthropiques, transformant progressivement une région en désert. Cette expression est parfois employée, à tort, pour qualifier la dégradation du couvert végétal.

Exode rural : déplacement massif des populations rurales vers les villes. Les causes de l’exode peuvent être multiples.

Palétuvier : espèce floristique très fréquente en zone de mangrove. Chez le Rhizophora, par exemple, les racines ont pris la forme d’une échasse lui offrant la possibilité de s’arc-bouter dans la vase. L’espèce Avicennia dispose d’une structure racinaire croissant sous la vase de façon linéaire et émergeant par le biais de petites protubérances nommées pneumatophores. Ces arbres se développant dans des milieux salins, leur survie résulte de leur capacité à excréter le sel, par le biais de petits orifices situés sur la face externe de leurs feuilles : les stomates.

Pédologie : science qui étudie les caractéristiques physiques, chimiques et biologiques des sols.

Sebkra : dépression fermée ou surface dénudée, dont la partie superficielle est recouverte d’une couche indurée d’origine calcaire ou saline.

Transition démographique : passage d’un taux de mortalité et de natalité élevés, à des taux beaucoup plus modestes. La transition démographique accompagne le développement économique et social.

 

 

 

 

 



[1] Les montagnes du Trou d’Eau et le massif de la Selle.

[2] Situé à la frontière haïtiano–dominicaine.

[3] Plante tinctoriale des régions chaudes.

[4] Maïs, patates-douces, haricots, sorgho, gombos, betteraves, aubergines, etc.

[5] Absence de jachères permettant à la terre de se reposer et de se reconstituer.

[6] D’après certaines estimations leurs matières fertiles formeraient des dépôts de 15 à 20 m d’épaisseur dans la baie de Port-au-Prince (Verdheil, 1999 ; Bouchon, 2000).

[7] Les termes en gras sont définis dans le glossaire.

[8] Dans la plaine du cul-de-sac la température moyenne est estimée à 28 degrés Celsius, mais peut atteindre épisodiquement 35 à 40 degrés Celsius.

[9] L’évacuation des eaux pluviales est régie par les articles 34 à 45 du moniteur du 5 août 1937 ; la gestion des ordures ménagères est régie par l’article 51 et les règles de construction urbaine par les articles 17 à 19.

[10] Pour qu’elles soient mises en œuvre, il faut préalablement obtenir des financements internationaux et le soutien d’organismes tels que la banque mondiale, l’UNESCO ou inscrire ces actions dans le cadre du Plan des Nations unies pour le Développement (PNUD).