Si vous venez de la page d’accueil du site fermez cette fenêtre.
Si vous venez d’ailleurs cliquez ci-dessous :
Retour à la page d’accueil

AMENAGEMENT DE L'ESPACE ET ENVIRONNEMENT

 

 

Jean-Claude BOUAL

 

 

 

Le terme d'aménagement apparaît dans la langue française au XVIIIème siècle avec les “ingénieurs-aménagistes“ chargés de l'entretien et de la mise en valeur des forêts royales. A la même époque est mis en place ce qui deviendra le corps des ingénieurs des ponts-et-chaussées chargé de construire et d'entretenir les routes du royaume. En 1743, est fondée l'école des ponts-et-chaussées.

Déjà, au siècle précédent, Colbert, en créant les arsenaux, les manufactures, les canaux d'Orléans et du Midi, en développant l'agri-culture par des allégements d'impôts ; ou Louvois et surtout Vauban en créant son réseau de villes fortifiées, en lançant les travaux de la carte de France, font œuvre d'aménagement du territoire.

Colbert voulait faire de la France la première puissance du monde. Avec le réseau frontalier de nouvelles citadelles, les vieilles murailles des cités médiévales de l'intérieur devenaient obsolètes au profit d'une ligne technico-militaire aux frontières du territoire, témoignant d'une stratégie territoriale globale parfaitement explicite.

Toutes ces mesures furent prises à l'instigation du pouvoir central, ce sera le cas par la suite avec le développement des routes, la création du réseau ferré ou le creusement du réseau Freycinet de canaux au XIXème siècle, ce sera également le cas au XXème siècle avec les décisions de création de la Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale (D.A.T.A.R.) en 1963, ou les créations du code de l'urbanisme, des villes nouvelles ou du schéma d'aménagement de la région Ile-de-France. C'est la Vème République qui consacrera le terme d'aménagement du territoire et le conceptualisera, avec notamment la DATAR comme outil principal.

L'aménagement du territoire est donc avant tout une question politique, qui agglomère des questions démographiques, géogra-phiques, économiques, financières, fiscales et institutionnelles.

En France, comme pour beaucoup de choses, l'aménagement du territoire renvoie à l'Etat, c'est l'Etat souverain qui entend maîtriser l'espace national. Il s'agit de répartir, par des mesures incitatives ou légales (contraignantes), les activités sur le territoire national de façon à corriger la tendance multiséculaire à créer “Paris et le désert français“ selon l'expression de J.F. Gravier en 1945. Il n'en est pas de même dans d'autres pays, en Grande Bretagne, dont la culture territoriale est diamétralement opposée à la nôtre, l'approche se fait par le niveau local, la notion même de territoire renvoie au niveau local ; en Allemagne, c'est plutôt le niveau régional (le Land) qui est prépondérant, et c'est la notion d'équité territoriale plutôt que d'aménagement qui sert de support à leur action. Notons également que la structuration de l'espace se fait sur le long terme. Les villes sont bâties pour des millénaires, les axes de circulation sont également millénaires, les routes, voies de chemin de fer, les canaux, les ports sont construits pour plusieurs siècles (en tout cas pour les ouvrages importants). Cette pérennité des ouvrages pose des problèmes particuliers quant à leur implantation et leur utilité sociale, à un moment où, sous la pression démographique, l'espace se raréfie dans certains lieux de la planète. Il est donc parfaitement naturel que les mouvements écologiques en fassent un axe essentiel de leur intervention. Pour être pertinente, notamment dans le temps, celle-ci doit s'appuyer sur des données aussi complètes que possible, et participer à de larges débats mettant en jeu l'ensemble des acteurs concernés. Ces débats, pour être utiles socialement, ne peuvent être que contradictoires et pluralistes. Encore faut-il créer, par l'information réelle et complète (qui est autre chose que la communication), un minimum de culture commune pour se comprendre et décider. Les enjeux de sociétés sont en effet considérables. Va-t-on poursuivre la politique du tout automobile et d'une civilisation axée autour d'elle, avec des autoroutes urbaines de plus en plus nombreuses par exemple, alors que les villes modernes, à travers le monde entier, s'asphyxient sous la pollution automobile ? Les mégalopoles vont-elles continuer à se développer au risque d'entropie, ou va-t-on pouvoir réguler leur extension ? Comment, paradoxalement, alors que des espaces manquent ici, peut-on éviter la désertification de zones entières et quelle utilisation future sera-t-il fait de ces espaces vides ? Quelle agriculture demain, alors que celle-ci a de moins en moins besoin de la terre pour produire ? Quel aménagement de l'espace au niveau planète peut-il en découler ? Quelle utilisation de l'espace avec la révolution informationnelle et les évolutions sociétales qui modifient la place du travail et des individus dans la société ?

Aucune de ces questions ne peut laisser un citoyen indifférent.

 

Les mutations des territoires. L'émergence de territoires nouveaux.

 

L'agglomération.

 

La France est aujourd'hui fortement urbanisée, 85 % des habitants vivent en ville. C'est en fait une civilisation nouvelle qui est en train d'apparaître sous nos yeux. Concomitant à la crise économique, ce phénomène, participe d'une crise sociale (de société) beaucoup plus vaste, touche à notre mode de civilisation lui-même. La concentration d'êtres humains sur un territoire restreint entraîne des réactions et des modes de vie nouveaux. Les mentalités, les mœurs, les rapports entre individus s'en trouvent profondément modifiés, les institutions traditionnelles, famille, églises, partis politiques, syndicats, en sont affectés. Le phénomène est mondial et touche toutes les civilisations à travers le globe. Ses traductions négatives : ségrégations sociales et ethniques, violence collective et individuelle, misère urbaine, dégradation des conditions de vie avec le développement de la pollution, manque de contact entre les personnes et indifférence à l'autre, éclatement des formes traditionnelles de solidarités, fait de la ville un lieu qui n'est plus le lieu de vie idéal et recherché comme par le passé. Mais elle est aussi un lieu d'apparition de forces nouvelles, de solidarités plus locales et plus liées à des intérêts immédiats, un lieu de dynamisme considérable dans tous les domaines, économique, artistique, intellectuel, social. De plus, le phénomène n'est pas homogène, des agglomérations se développent, quelle que soit leur taille, sans que l'on en voie la fin, d'autres s'affaiblissent.

Ce nouveau territoire qu'est l'agglomération est polymorphe, difficile à gérer, car administrativement éclaté, son développement anarchique ajoute à la difficulté d'en saisir le mouvement. Il y a bien eu de tout de temps des villes, mais leur taille était moindre et surtout même dans leur développement, elles conservaient pour l'essentiel leur unité et leur système de références.

Au niveau environnemental, les villes se trouvent confrontées à des problèmes majeurs. Sur la base des données disponibles aujourd'hui, on estime qu'une ville européenne d'un million d'habitants consomme chaque jour 11.500 tonnes de combustibles fossiles, 320.000 tonnes d'eau et 2.000 tonnes d'aliments. Elle produit aussi 1.500 tonnes de polluants atmosphériques, 300.000 tonnes d'eau usée qu'il faut assainir et 1.600 tonnes de déchets solides qu'il faut évacuer et qui, le plus souvent, sont incinérés ou stockés. De plus, en vingt ans, de considérables changements sont intervenus dans la qualité de l'environnement urbain. Malgré les progrès accomplis dans la lutte contre la pollution atmosphérique et celle de l'eau, la qualité de l'air, le bruit et l'encombrement de la circulation, donnent des signes de tensions graves. Après une baisse des concentrations de gaz sulfurique et de particules, due à l'imposition de normes strictes, les concentrations d'oxyde nitreux et de monoxyde de carbone n'ont pas diminué et ont même augmenté dans toutes les villes européennes par exemple, en raison de l'augmentation du trafic routier. En outre, toujours pour les mêmes causes, l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) indique qu'en 1989, 93 % de la population totale de l'Europe était exposée à des niveaux de concentration d'ozone supérieurs aux valeurs horaires limites recommandées.

Le bruit est l'autre source principale de pollution dans la ville. En moyenne, le taux de personnes exposées à des niveaux de bruits inacceptables est deux ou trois fois plus élevé que la moyenne des autres zones.

De plus, en terme d'aménagement, d'urbanisme qui se veut la science de l'aménagement du territoire urbain, notre pays se heurte à son organisation institutionnelle et administrative, qui ajoute aux difficultés et bloque de fait les réflexions et les évolutions nécessaires aujourd'hui, face aux besoins sociaux nouveaux.

En effet, les agglomérations ne sont pas un espace de débat public et de démocratie, leurs représentants sont élus au second degré quand il existe une entité (communauté urbaine, ou communauté de ville), ce qui n'est pas toujours le cas. Ce sont les conseils municipaux des villes qui forment la communauté, qui désignent leurs représentants. L'agglomération n'a pas, de ce fait, de légitimité suffisante pour gérer le territoire, et les communes composantes qui ont cette légitimité ne correspondent pas à l'échelle des problé-matiques et aux enjeux réels de gestion de l'espace. Les phénomènes urbains ne peuvent être maîtrisés dans ces conditions. A l'inverse des quartiers de villes importantes, comportant 10.000, 20.000 voire 100.000 habitants ou plus, n'ont aucune reconnaissance démocratique. Il n'existe aucune possibilité de régler un problème à cette échelle, alors que subsiste par ailleurs des milliers de communes de quelques centaines d'habitants ou moins.

La décentralisation n'a rien modifié à cette importante question, car elle a été conçue en terme de pouvoir des élus locaux face à l'administration de l'Etat et pas pour aider à une action démocratique de gestion de l'espace. Elle a permis de créer les conditions de véritables pouvoirs locaux, et par conséquent, de véritables espaces politiques locaux, vite transformés en fief en raison notamment du mode de scrutin majoritaire et surtout du cumul des mandats et de la possibilité de cumuler un mandat national et exercer un pouvoir exécutif local. Les assemblées délibérantes (conseil municipal, conseil général, conseil régional, Assemblée Nationale) ont une légitimité directe du suffrage universel, alors que les exécutifs locaux sont désignés au suffrage indirect et exercent des prérogatives étatiques, lesquelles devraient être incompatibles avec l'exercice du pouvoir législatif. Il en résulte que l'Assemblée Nationale est constituée d'une majorité de maires et de présidents de conseil général ou régional, ce qui rend impossible en France une réforme territoriale d'envergure à la hauteur des enjeux d'aménagement de l'espace, et ce qui en découle, la création (ou l'existence) d'une véritable citoyenneté de proximité. D'une certaine façon, la défection des électeurs avec l'augmentation importante des abstentions et des votes blancs ou nuls, aux élections locales depuis une bonne décennie, ainsi que la prolifération des malversations et autres “affaires“ en sont à la fois la démonstration et l'expression.

Ce sont en fait nos institutions, héritées de la Révolution de 1789, avec la création des départements découpés dans une France rurale, avec des moyens de locomotions hippomobiles, et l'orga-nisation administrative napoléonienne (préfets...) encore en place et conçue pour contrôler le territoire plus que pour l'aménager, qui sont obsolètes.

Elles le sont doublement parce que la France est aujourd'hui à 85 % urbaine, et aussi parce qu'avec la construction européenne et la chute du mur de Berlin, la dimension strictement nationale de l'aménagement de l'espace a sauté.

La mondialisation des économies, leur rapprochement au niveau régional avec la création de l'AELE ou de l'Union Européenne, ainsi que les évolutions dans les pays de l'Europe de l'Est avec leur conversion à l'économie de marché, les grands phénomènes environnementaux dus au développement des économies (effet de serre, diminution de la couche d'ozone, pollution des mers et océans, problèmes énergétiques...), rendent la dimension strictement nationale de l'aménagement du territoire trop étroite, même si elle demeure à un niveau encore pertinent. De nouveaux territoires d'aménagement apparaissent.

 

Le niveau européen.

 

Avec la chute du « Mur de Berlin » en 1989, le rapprochement d'espaces économiques antérieurement séparés a réveillé d'anciennes relations culturelles, touristiques et commerciales entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe de l'Est. Indépendamment des nouveaux arrivants (Autriche, Suède, Finlande), six Etats d'Europe centrale et orientale (Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie) ont conclu avec l'Union Européenne des accords, qui prévoient une coopération étroite avec les Etats membres dans le domaine de l'aménagement du territoire et doivent permettre à terme leur adhésion à l'Union.

Deuxièmement, bien que le traité de l'Union européenne ne parle jamais d'aménagement du territoire, mais de cohésion économique et sociale, des dispositions précises en terme de territoire y sont incluses. Le titre XII sur les réseaux transeuropéens en matière de transport, énergie et télécommunications implique une politique commune d'aménagement. Les fonds structurels bien qu'anciens, avec l'augmentation de ressources affectées, et le nouveau fond de cohésion créé par le Traité de l'Union Européenne, sont appelés à jouer un rôle plus important dans l'aménagement des régions. L'annonce d'une politique industrielle (bien que le terme ne soit pas employé dans le Traité) ne sera pas sans conséquence sur le développement des territoires. Le Livre Blanc sur la croissance adopté au sommet d'Edimbourg en décembre 1993 en est une première illustration. Le Conseil européen de Corfou, en juin 1994, a arrêté une liste de projets prioritaires d'intérêt communautaire[1].

La mondialisation de l'économie pousse à créer un ensemble plus homogène en Europe. Dans un document de travail d'août 1993, présenté comme une base de discussion pour “des politiques de l'aménagement du territoire dans le contexte européen“, le gouverne-ment allemand écrit à ce sujet :

“L'effet conjugué de l'intégration politique et économique de l'Europe, d'une part, de la pression de l'immigration d'origine « extérieure »  et de la restructuration économique et technologique qui s'opère à l'échelle du globe, d'autre part, imposera de nouvelles tâches en matière de développement urbain et régional dans la communauté. L'une des missions essentielles de la politique de l'aménagement dans les Etats membres de l'Union Européenne consistera non seulement à tirer parti de cette situation nouvelle, mais aussi à s'opposer à ce qui pourrait compromettre le développement spatial et urbain de certaines régions européennes. D'où la nécessité de définir ensemble les finalités du développement spatial et urbain en Europe, sous la forme d'objectifs généraux de l'aménagement du territoire, ainsi que de concevoir et de mettre en œuvre les stratégies permettant d'atteindre ces objectifs“.

 

Les régions dans un cadre européen.

 

Le terme région est ambigu, car il recouvre aussi bien les régions françaises, qui ont des compétences et des budgets limités dans le cadre d'un Etat unitaire, que les Länder allemands, qui ont des prérogatives d'Etat (législatives dans certains domaines, aménagement du territoire...) et des budgets importants dans le cadre d'un Etat fédéral, que des Provinces espagnoles, telle la Généralité de Catalogne, qui a un statut d'autonomie très fort, et un budget en conséquence.

Cependant, sous la pression des Länder allemands, le Traité de Maastricht a reconnu leur existence et institué un “Comité des Ré-gions“, composé de cent quatre-vingt-neuf délégués, désignés par les Etats membres, et composés en fait d'élus locaux[2].

Ses prérogatives sont aujourd'hui très limitées. Il est simplement consulté pour avis dans les cas prévus au Traité de l'Union Européenne (cohésion économique et sociale, fonds structurels, réseaux trans-européens...)

Il peut également, “lorsqu'il estime que les intérêts régionaux spécifiques sont en jeu, émettre un avis à ce sujet“. “Il peut émettre un avis de sa propre initiative dans les cas où il le juge utile“, chose qu'il ne manquera certainement pas de faire à l'avenir, compte tenu de ses ambitions.

“Nous allons être les gardiens de la subsidiarité, nous serons les porteurs du message de l'aménagement du territoire, de la cohésion économique et sociale entre les Etats mais aussi à l'intérieur de nos régions“ a déclaré J. Blanc, dès son élection comme président du Comité.

Dans l'ensemble des pays membres, les régions jouent un rôle déjà important dans l'aménagement du territoire. L'allocation des fonds structurels, même si elle transite par les Etats, se fait en leur direction pour l'essentiel (objectif n° 1 : développement et ajustement structurel des régions en retard de développement qui, à lui seul, mobilise 70 % — 96 milliards d'écus — de l'ensemble des fonds structurels pour la période allant de 1994 à1999 ; objectif n° 2 : reconversion des régions ou des parties de régions gravement affectées par le déclin industriel).

Pour la France, 40 milliards de francs sont mobilisés aux objectifs 1, 2 et 5b et inclus dans les contrats de plan Etat / Région 1994-1999.

Les régions elles-mêmes, de plus en plus, “vont chercher de l'argent à Bruxelles“, et s'organisent pour cela en développant le lobbying auprès de la Commission. Elles mettent en place des structures de coopération dites souvent “Eurorégions“, à géométrie variable, impliquant plusieurs pays.

 

Les espaces transfrontaliers.

 

En juillet 1990, la Commission de l'Union Européenne a mis en place le programme Interreg pour développer la coopération transfrontalière intérieure et extérieure à la Communauté Economique Européenne.

Les régions frontalières occupent 15 % du territoire communautaire et représentent 10 % de sa population. Le but d'Interreg est de promouvoir leur développement économique. La particularité de ce programme est que le budget n'a pas été alloué aux Etats membres individuels mais par frontière. Cette démarche a contribué à créer et renforcer des partenariats transfrontaliers entre gouvernements nationaux et autorités régionales et locales. Trente et un programmes opérationnels ont été approuvés entre juillet 1991 et juillet 1992, tous devaient être exécutés fin 1993. Entre 1991 et 1994, le budget d'Interreg s'élevait à 1.034 milliards d'Ecus. C'est le programme le plus important des initiatives communautaires dans ce domaine. Il fait appel à plusieurs fonds communautaires (Feder, FSE, Feoga).

Ces évolutions sont très importantes pour l'avenir. En effet, les espaces frontaliers sont des lieux stratégiques pour l'essor de l'Europe. Ils constituent des lieux ouverts à l'innovation et à l'expérimentation de nouvelles formes et règles de coopération. La suppression des frontières internes dans la Communauté Européenne va bouleverser les organisations urbaines de ces zones.

 

Elargir les visions des territoires.

 

L'aménagement de l'espace consiste à imaginer l'avenir et essayer de mettre en cohérence les évolutions de sociétés et l'utilisation de l'espace. En France, jusqu'à présent, les politiques successives ont surtout consisté à essayer de corriger les disparités régionales, notamment en délocalisant les entreprises de la région parisienne vers la province. Cette politique a démontré ses limites, sans d'ailleurs remédier aux disparités régionales. Les évolutions de nos sociétés, l'importance des problèmes écologiques, l'élargissement des horizons au niveau européen et mondial, et les occupations différentes des territoires qui en découlent, nous amènent à réexaminer les conceptions et pratiques en matière d'aménagement du territoire.

De ce point de vue, la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, malgré ses ambitions affichées dans son article 1er et le débat qui l'a précédée, ne correspond pas à ces enjeux. Elle est trop tournée vers le 19ème siècle car elle tend à nouveau à conforter les départements et ne prend réellement en compte ni l'urbanisation du pays et l'émergence des agglomérations, ni la dimension européenne, ni les aspects transfrontaliers des développements qui n'ont toujours pas de véritable cadre légal pour leur action.

 

Les évolutions technologiques.

 

Un double mouvement, lié aux évolutions technologiques, risque de transformer complètement l'utilisation des territoires.

La culture hydroponique, ou culture “sans sol“, effectuée dans un environnement artificiellement contrôlé, se développe aujourd'hui à grande allure. Les Américains ont calculé que la mise en valeur ultra-intensive de moins de 5 % de leur territoire suffirait à couvrir leurs besoins alimentaires. La moitié de la production des dix premières productions agricoles françaises est effectuée par dix départements seulement. On construit des poulaillers de plusieurs millions de poules, aujourd'hui, en Belgique, il existe des porcheries à étage. En France, comme à l'échelle de l'Europe, plus les quantités produites sont importantes, moins les surfaces exploitées sont importantes et plus le nombre de paysans est réduit. Les territoires ruraux sont de moins en moins des territoires agricoles. Cependant, l'agriculture représente toujours 57 % du territoire français. La population rurale est de moins en moins agricole, plus de 40 % de la population des communes rurales est ouvrière. Le productivisme agricole a rompu le lien entre économie, territoire et société.

Des travaux effectués par l'Union Européenne montrent que dans le triangle qui s'étend de l'Aquitaine au Danemark et au Sud-Est du Royaume Uni (qui est en outre le plus urbanisé), on peut produire à moindre coût, de quoi nourrir toutes les autres régions de l'Union Européenne, tout en important des produits pour l'alimentation du bétail. D'autres travaux affirment que 70 à 80 % de la production agricole européenne en volume pourrait se concentrer sur le littoral de la Manche, de Rouen à Rotterdam, en se prolongeant vers la Bretagne à l'Ouest et le Danemark au Nord-Est[3].

Cette conception productiviste de l'agriculture pousse quelques nations, dont les Etats Unis et la France, à vouloir s'arroger le droit de “nourrir le monde“ et imposer aux pays du Sud leurs excédents alimentaires sous forme d'une assistance permanente, tout en soutenant le coût de leur production par des mesures artificielles. La phase finale des négociations du GATT, fin 1992 et début 1993, au cours de laquelle les désaccords entre la France et les USA sur la politique agricole pour prendre le leadership, a bien illustré cette politique de domination. Elle pousse des pays entiers à la destructuration de leur société, car ils n'ont ni industrie, ni service à faire valoir et leur système de production agricole s'écroule sous la poussée du modèle occidental. Les populations sont alors amenées à immigrer, à gonfler les faubourgs des villes, à s'enfoncer dans la misère. En terme d'utilisation du territoire, c'est la désertification, l'abandon de régions entières.

Ne faut-il pas alors rechercher à reconstruire, en termes nouveaux, le lien entre une activité économique (l'agriculture...), une société et un territoire ? L'agriculture, aujourd'hui, ne structure plus le territoire, elle ne constitue plus l'axe structurant des activités et de la sociabilité rurale, ni le principe organisateur de nos territoires. Ne faut-il pas inverser les termes de la problématique et au lieu de considérer les territoires comme des espaces ressources pour l'agriculture, penser l'agriculture comme un facteur de la territorialisation de la société et de l'économie, à l'échelle nationale, européenne et mondiale. Cette question commence à être perçue par les agriculteurs qui, lors de leurs dernières grandes manifestations, ont posé le problème du devenir de l'agriculture en terme d'aménagement du territoire.

On sait l'importance de l'entreprise (et de l'emploi) dans l'aménagement et l'occupation des territoires. Que serait Rennes sans Citroën ? le Mans ou Flins sans Renault ? la région de Sochaux-Montbéliard sans Peugeot ? Le départ de l'industrie de Paris a complètement changé sa composition sociologique et son patrimoine immobilier. Quelle sera, dans les années à venir, l'organisation de l'entreprise elle-même et des formes de travail compte tenu de la révolution informationnelle, et du développement du télétravail ? Imaginons une grande partie des activités professionnelles exercée à distance grâce à l'utilisation interactive des outils et réseaux de communications. L'organisation traditionnelle du travail s'en trouverait totalement bouleversée, mais aussi l'organisation de l'espace découlant du mode de production industriel et capitaliste, avec des lieux de concentration pour le travail et d'autres pour l'habitat et les déplacements qui en résultent. L'entreprise virtuelle n'est plus très loin. Aujourd'hui est déjà demain. Le télétravail se développe, le réseau internet offre aujourd'hui des possibilités de communication en “temps réel“ à l'échelon mondial.

Ces deux évolutions, de l'agriculture et du travail des secteurs secondaire et tertiaire, risquent fort de bouleverser nos rapports au(x) territoire(s), aux autres humains et à la société. Il y a, en terme de prospective et d'aménagement de l'espace, d'utilisation de celui-ci, ainsi que des conséquences pour l'environnement de chacun, un champ de débat et d'intervention immense pour les associations et mouvements écologistes.

 

Développement durable et aménagement de l'espace.

 

Pour le territoire français, comme au niveau européen, nous assistons à certains phénomènes entraînant des modifications de l'utilisation et du développement des territoires :

1) Une progression de la dualisation du territoire avec des zones où la concentration de population se poursuit et d'autres faisant l'objet d'un dépeuplement persistant .

2) La tendance à la croissance des grandes villes, tout particulièrement la région parisienne en France, et à la dispersion démographique sur leur pourtour s'accompagnant souvent d'un dépeuplement des centres, ce qui engendre des déséquilibres spatiaux et sociaux importants.

3) La progression des phénomènes de littoralisation, notamment dans le Sud-Est et le Sud-Ouest du pays, et de suburbanisation qui exerce des pressions accrues sur les espaces ouverts et sur de nombreuses zones naturelles sensibles.

4) Le renforcement de certains grands corridors de peuplement, le long desquels s'échelonnent les grandes villes (ce phénomène est particulièrement sensible au niveau européen), et l'émergence de nouveaux axes de densification ainsi que des “zones grises“ entre les pôles témoignant du rôle stratégique des grands réseaux de commu-nications.

5) Le développement des zones frontalières en cours de peuplement et de densification, témoignant de l'importance de la construction européenne aujourd'hui sur l'occupation de l'espace .

6) Dans certains cas, une revitalisation de certaines zones rurales, avec augmentation de la population, ce qui témoigne du rôle d'animation et d'entraînement que jouent certaines villes moyennes et petites.

Ce type de développement n'est pas le plus rationnel du point de vue de l'occupation et de l'utilisation de l'espace. Certaines zones sont surexploitées, les nuisances et pollutions détruisent les milieux naturels. Un modèle de développement durable implique une organisation et une gestion spatiale économe des ressources naturelles afin de permettre leur régénération et leur transmission aux générations futures, ainsi qu'une préservation de l'environnement et de la biodiversité du milieu naturel. Y compris pour l'emploi et la compétitivité des territoires. Cette question est aujourd'hui importante comme le montrent les études récentes relatives aux motifs de localisation d'entreprises pour lesquelles l'environnement est un facteur beaucoup plus pris en compte dans l'attractivité des territoires.

 

 

Conclusion.

 

L'aménagement du territoire, ou plus exactement de l'espace, n'est pas une question technique, c'est d'abord une question politique qui mêle tous les aspects de la vie en société. Cela touche les problèmes industriels et de l'emploi, du type de production utilisée et de consommation pratiquée, ainsi que l'organisation sociale qui en découle.

La connaissance technique des dossiers est indispensable, car elle permet de fonder l'argumentation des militants face aux autorités locales, régionales, nationales, voire européennes ou mondiales. Mais elle ne suffit pas. Celle-ci doit s'appuyer sur de réels débats avec toutes les parties prenantes, et une claire conscience de la vie sociale, de la citoyenneté de chaque individu, de sa participation à la politique, au sens de vie ou chose publique. Souvent, les choix effectués engagent les générations futures, ils en sont d'autant plus délicats et doivent être fait avec d'autant plus de discernement. Le  « penser global et agir localement » n'est plus suffisant. Certes, il faut bien penser global devant l'ampleur des questions posées, il faut bien agir localement car c'est la responsabilité de chacun qui est engagée et chacun vit dans un environnement local, mais de plus en plus de décisions sont prises à des niveaux macronationaux, ou multinationaux, européens ou mondiaux. C'est donc ce niveau qu'il faut investir également. D'ailleurs, les O.N.G. d'environnement l'ont bien compris avec leur participation active au Sommet de Rio.

L'homme est un être social, qui vit en société, et non comme un animal dans “un environnement“. La société est aujourd'hui planétaire. L'aménagement du territoire, par la globalité qu'il implique, nous rappelle que les problèmes écologiques sont le résultat de cette vie en société et des choix politiques, sociaux, économiques, qui y sont effectués.

C'est l'homme qui modifie son environnement par son activité sociale. Sa responsabilité est donc essentielle. Il vit dans des sociétés et dans l'histoire dont il est l'acteur, politiquement responsable.

 

 



[1] Le Conseil des Ministres a discuté d'une première liste de projets parmi lesquels le TGV Paris-Strasbourg-Berlin, le TGV Madrid-Barcelone-Perpignan, le TGV Londres-Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam, l'axe ferroviaire du Brenner spécialisé dans le transport combiné, l'autoroute Berlin-Varsovie, l'autoroute Lisbonne-Valladolid, l'autoroute du port grec adriatique d'Igouménista à la frontière turque.

[2] La composition pour la France est douze élus régionaux, 6 élus départementaux, 6 maires, reflétant toutes les ambiguïtés de nos institutions. Ce Comité comprend des élus de tous les échelons des collectivités locales. Le premier président élu le 10 mars 1994 est Jacques Blanc, Président de la Région Languedoc-Roussillon, Député de Lozère et Maire de Canourgue (817 habitants).

[3]  Sources. Rapport « Europe 2000+ » — Coopération pour l'aménagement du territoire européen - 1er semestre 1995